Publié dans Le Rabaska, Décembre 2015
L’histoire régionale n’est guère enseignée dans nos établissements scolaires. La géographie physique de notre région et sa préhistoire ne reçoivent pas non plus l’intérêt dont elles devraient bénéficier. Il est vrai que la géologie régionale est un domaine qui n’a été abordé que dans des thèses de maîtrise ou de doctorat. À part de rares articles parus dans des revues spécialisées, il n’existe pas, à notre connaissance, d’ouvrage récent de vulgarisation cherchant à expliquer comment le relief mauricien a été formé et comment il a influencé le peuplement et l’économie de notre région. Jetons donc un coup d’œil sur la géologie de la Mauricie.
Les Laurentides d’aujourd’hui sont des vestiges de pics élevés, érigés au cours de l’ère précambrienne, soit il y a 500 millions d’années. Pendant la période ordovicienne, remontant à 300 millions d’années, la vallée du Saint-Laurent était une mer profonde. Son lit de pierre calcaire est encore visible à Saint-Louis-de-France.
La glace a recouvert presque toute l’Amérique de Nord à plusieurs reprises, par suite du refroidissement du climat qui a débuté il y a 60 millions d’années. Avant la dernière glaciation, il y avait un grand lac long de 90 kilomètres, appelé lac Deschaillons. C’était l’élargissement de l’ancêtre du fleuve Saint-Laurent. On ne connaît pas ses rives exactes mais il aurait existé pendant presque deux millénaires, il y a 36 000 ans. Il aurait été produit par une obstruction à la hauteur de Québec laquelle aurait fait refouler l’eau du fleuve jusqu’au présent lac Saint-Pierre. Les sédiments qu’il a laissés sont creux de 17,5 mètres sur la rive sud du Saint-Laurent. Le lac se serait étendu entre la décharge de la rivière Saint-François jusqu’à Leclercville. On ne connaît pas son étendue sur la rive nord mais il est fort probable qu’il se serait rendu jusqu’aux premiers contreforts des Laurentides.
La présence de ce lac permet de se faire une idée du temps qu’il a fallu pour que les glaciers recouvrent le sud des Laurentides. La glace qui recouvrait déjà l’estuaire du Saint-Laurent aurait mis 3000 ans à atteindre la région de Trois-Rivières. La région était recouverte à cette époque d’une vaste forêt boréale et les principaux cours d’eau existaient déjà.
Au cours de la dernière glaciation, qui a pris le nom de Wisconsonien supérieur (entre 85 000 et 7000 avant notre ère), l’épaisseur de la glace sur l’ensemble du Québec pouvait atteindre de 900 à 1200 mètres. Cet immense glacier aurait pris naissance dans les montagnes du Labrador. Le glacier aurait descendu vers le sud à mesure que le climat se refroidissait si bien qu’il a complètement recouvert la Mauricie. L’action des glaciers a nivelé les anciens pics des Laurentides pour former une plaine peu élevée au-dessus du niveau de la mer.
Dans la vallée du Saint-Maurice, les glaciers ont produit des rapides et des chutes aux endroits où le roc est à fleur de terre. On pense que les glaciers ont fluctué sur place pendant plusieurs siècles entre les années 11 300 et 10 800. La glace a mis entre 200 et 400 ans pour se retirer de la vallée du Saint-Maurice. Les scientifiques prétendent que la glace a reculé de 100 mètres par année. La baie Shawinigan aurait été déglacée en 200 ans, mais le bassin de Sainte-Thècle aurait mis 250 ans à perdre sa couverture de glace.
La glace se serait retirée du parc national de la Mauricie vers l’an 9760. La base de la tourbière de Saint-Adelphe remonte à 8720 ans. Ceci nous donne une idée assez exacte du départ des glaces de notre région. Le glacier se serait retirée de la région de Shawinigan à raison de 127 mètres par an entre les années 11 000 et 8 000 et il aurait reculé de 500 kilomètres au cours de cette période.
La présence de débris de glaciers, appelés verrous, qui entravaient le cours des rivières et la décharge des lacs, indique qu’il existait des langues de glace dans les dépressions du sol. Ces enfoncements de terrain allaient dans la même direction que l’écoulement de la glace. D’autres monticules de débris glaciers barraient la sortie de la vallée de Saint-Élie. Les lacs La Pèche et des Piles sont bloqués dans leur extrémité sud par des verrous. Il en va de même pour le lac Mékinac et la rivière du même nom. On a trouvé 19 monticules de sédiments successifs dans la région de Hérouxville lesquels marquent la position périodique des glaciers en retrait.
À mesure que les glaciers se retiraient, le sol débarrassé d’un lourd poids commençait à se relever. Si on se fie au relief actuel, il semblerait que la région de Charrette se soit relevée beaucoup plus que celle de Mont-Carmel.
Il y a 11 000 ans, un nouveau refroidissement climatique a entravé la fonte des glaciers qui s’arrêtaient à la mer de Champlain, une vaste étendue d’eau salée qui recouvrait les basses-terres du Saint-Laurent. Cet arrêt a permis la formation de la moraine de Saint-Narcisse. À Mont-Carmel, le niveau de l’eau atteignait 200 mètres. Les dépôts glacio-marins se sont accumulés à proximité et au-dessus de l’escarpement des Laurentides, entre le bouclier canadien et la plaine du Saint-Laurent. Ces dépôts peuvent atteindre 20 mètres d’épaisseur et ont une largeur moyenne de 150 mètres. Cependant, à Mont-Carmel et à Charrette, ils ont plus d’un kilomètre de largeur et plus de 30 mètres d’épaisseur.
Le complexe de Saint-Narcisse est le dernier vestige de l’épisode glaciaire du Wisconsonien supérieur dans la région. Il s’étend sur une longueur de 500 kilomètres entre Saint-Siméon, dans Charlevoix, jusqu’au lac Simon en Outaouais, traversant toute la région entre Saint-Raymond et Saint-Paulin. Il indique une stabilisation des glaciers. En Mauricie, la moraine de Saint-Narcisse est située sur les premiers contreforts des Laurentides. Ce contrefort est évident aux chutes à Magnan sur la rivière du Loup, à La Gabelle sur le Saint-Maurice, au barrage de Saint-Narcisse sur la Batiscan, aux chutes Saint-Alban sur la rivière Sainte-Anne, et à la chute Jimmy qui, elle, se trouve sur le deuxième contrefort. Les eaux du Saint-Maurice et des autres rivières venues du Nord ont creusé des fissures dans la moraine qui n’est pas continue dans toute son étendue.
On a vu plus haut que des langues de glace obstruaient l’envahissement de la mer de Champlain. La preuve en est que certains lacs de la région sont à la même altitude que les plages d’alluvions déposés par cette mer. C’est le cas des lacs de la Perchaude, Pierre-Paul et aux Sables.
La découverte de fossiles marins indique que la mer de Champlain aurait remonté dans les vallées des rivières Saint-Maurice jusqu’aux Piles, dans la rivière du Loup jusqu’à Saint-Alexis-des-Monts et dans la Maskinongé jusqu’au lac Maskinongé. Des dépôts sédimentaires ont recouvert presque toutes les dépressions ouvertes à la mer jusqu’à une altitude de 120 à 165 mètres. Dans ces dépôts, on a trouvé des fossiles marins en amont du pont de la rivière du Loup à Charrette, près de l’intersection du rang Saint-Félix avec les rivières du Lard et de la Fourche. On en a retrouvé aussi sur la rive gauche de la rivière Sainte-Anne à deux kilomètres en aval du pont de Sainte-Christine. On a retrouvé des plages marines à Saint-Tite, à 204 mètres d’altitude, et des fossiles marins à Saint-Thècle. Il s’agit des fossiles marins les plus au Nord qui aient été trouvés.
L’eau de la mer de Champlain était froide et saumâtre en surface. Les écarts de température étaient évidents uniquement en surface, car la mer était alimentée par l’eau de la fonte des glaciers. Il y avait très peu de courant. Elle était habitée par une faune d’invertébrés, de poissons, de mammifères comme les phoques, les morses et les baleines. Des oiseaux nordiques volaient au- dessus des eaux. On a retrouvé à Shawinigan, près du Séminaire Sainte-Marie, des ossements d’eider, un canard des côtes arctiques dont le duvet a donné son nom à l’édredon.
Le site actuel de La Tuque était submergé. À Shawinigan, on a trouvé des fossiles de poissons et de coquillages marins sur la colline de l’église Saint-Pierre et sur le coteau à La Croix. Cependant, on n’en a pas trouvé à La Tuque, peut-être à cause de la présence de glaciers plus tardifs.
En Mauricie, la mer de Champlain aurait été de courte durée par rapport aux autres régions de la vallée du Saint-Laurent. On croit que le relèvement graduel du sol, débarrassé de son poids de la glace, expliquerait en partie cet état de choses. Les eaux auraient baissé de 69 mètres en 7000 ans.
À compter de l’an 9800, la mer de Champlain fait place à une nappe d’eau douce qui, à son tour, a été remplacée par l’ancêtre du fleuve Saint-Laurent, puis finalement par le Saint-Laurent actuel.
Les terrasses de sable le long du Saint-Maurice sont des témoins des différents stades de retrait de la mer de Champlain dans la région. En effet, à mesure que le continent se relevait, le niveau de la mer descendait graduellement : à chaque étape se formait une nouvelle plage sablonneuse. La pente de ces terrasses va droit au sud-est vers le Saint-Laurent; elle est si nette qu’elle empêche les eaux des lacs et des rivières situés à l’est de se jeter dans le Saint-Maurice, pourtant si proche. Par contre, de l’autre côté de la rivière, le sol a été cimenté par l’action de l’eau, ce qui empêche les cours d’eau de couler vers l’ouest.
Ces terrasses sablonneuses sont une caractéristique des berges des rivières Saint-Maurice, Batiscan et Sainte-Anne. Elles recouvrent l’argile de la mer de Champlain, ce qui rend très présent le risque de glissements de terrains. On compte pas moins de dix terrasses sur une distance de 21 kilomètres entre Trois-Rivières et Saint-Étienne-des-Grès. Dans les limites de la ville de Trois-Rivières, on en compte cinq. Entre Yamachiche et Charrette, en direction de Saint-Barnabé-Nord, il n’y en a plus qu’une seule, mais à Saint-Léon-le-Grand, on en compte deux.
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Pour en savoir davantage sur ce passionnant aspect de notre histoire régionale, il faut lire les deux livres de Raoul Blanchard, Le Centre du Canada Français et La Mauricie, dans la collection « Histoire régionale » publiée par la maison Le Bien Public. Les plus courageux peuvent se familiariser avec les écrits de Serge Occhietti, de Claude Genest et de Pierre Ferland.